A contre coeur...
Il est 21h00.
Pourquoi ai-je si mal à la tête ?
J'ai fini le boulot et j'aperçois à travers les vitres du relax du bloc qu'il fait noir et que le vent souffle encore ce soir.
J'entre dans les vestiaires glauques et silencieux, j'ouvre mon casier et me change rapidement. Je ne jette même plus un coup d'oeil au miroir, j'ai arrêté d'essayer de ressembler à quelque chose depuis que je porte ces charlottes qui ischémient mon front même 3 heures après les avoir enlevées.
Je descends et les grandes portes vitrées de mon CHU s'ouvrent et laissent entrer ce froid glacial de mars.
Je m'arrête un instant et me pose dans un coin de l'hôpital, à l'abri du vent.
Je m'assois à même le sol et allume tant bien que mal une cigarette. Je ne suis pas garée si loin mais j'ai envie de rester encore un peu ici. J'en ressens le besoin. juste encore quelques minutes.
Quelques minutes pour fermer les yeux et respirer.
Et ce putain mal de tête est toujours là.
J'entends les sirènes de police s'entremêler avec celles des pompiers se rapprochant. C'est comme çà tous les jours. C'est comme çà toutes les nuits. Je tire sur ma cigarette et toute ma journée défile brusquement dans ma tête.
Le bruit de l'hélicoptère sur l'hélistation, le brancardage sur les toits de l'hôpital, la course jusqu'à la salle de vasculaire, les bruits du scope, les anesthésistes qui courent, les téléphones des chirurgiens qui sonnent, les autres infirmières qui me demandent si elles pourraient m'aider à quoi que ce soit, le bruit des boîtes d'instruments qui s'ouvrent et que l'on me tend, le bruit du bistouri électrique, l'odeur de peau qui brûle, le bruit du sternum qui craque puis qui se laisse faire par un énorme écarteur et nous offre alors la plus belle des visions, le siège de la vie de cet homme, ce magnifique coeur qui bat péniblement.
J'ai alors posé ma main sur cet oeuvre et le temps s'est arrêté quelques minuscules secondes. Je n'ai plus entendu les bruits autour de moi, j'ai juste fait corps avec ces battements et ai remercié égoïstement Dieu de m'avoir donné l'opportunité de vivre ce moment là.
Je tenais dans ma main l'instrument le plus important au monde pour cet être humain que je ne connaissais absolument pas et que je ne reverrais certainement jamais. Cet homme ne saura d'ailleurs jamais qu'à un moment de sa vie une inconnue a eu son coeur entre les mains.
L'équipe de nuit sur les lieux, j'ai fini par me faire remplacer. De force. C'était mon heure. C'était mon heure depuis une heure en fait. Je ne m'en étais même pas rendue compte. J'ai quitté la salle et lorsque la porte se referma derrière moi, j'ai alors regardé à travers la vitre toutes ces personnes qui étaient resté là et qui continuaient à travailler à lui sauver la vie.
J'ai commencé à avoir mal à la tête.
Marchant dans le couloir jusqu'aux vestiaires, je sens cette douleur frontale se développer. J'arrive jusqu'au relax et regarde directement l'horloge sur le mur : il est 21h00...